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Carnets de voyage

Vives para hacer una diferencia

Les gratte-ciels en front de mer de Panama Ciudad.
Les gratte-ciels en front de mer de Panama Ciudad.
Photos : Alex Perreault

5 mars 2009

Alex Perreault, étudiant à l’École de politique appliquée

Certains étudiants de l'École de politique appliquée perçoivent le cours Activité de synthèse et d'intégration comme une corvée puisqu'ils doivent produire un mémoire de fin de baccalauréat. Mais pour Alex Perreault, ce travail à sujet libre est plutôt devenu une belle occasion de voyager! Il s'est déniché un stage au ministère de l'Environnement du Panama. Son mandat : produire un document relatant les travaux du Ministère en matière de négociation internationale. À la veille d'élections là-bas, bon nombre de fonctionnaires sont appelés à changer. Le transfert d'information est crucial, même si les fonds disponibles au Ministère sont insuffisants.

Panama City a le profil type des capitales de l'Amérique latine : une mégalopole au développement chaotique regroupant la moitié de la population nationale en raison de l'exode rural. Un simple coup d'œil sur la capitale et l'on s'aperçoit que l'urbanisme n'est pas une priorité du pays.

Exemple loufoque : vous désirez vous construire un immeuble avec vue sur la mer à Panama City. Pas de problème, vous n'avez qu'à pelleter un peu de terre en face des immeubles déjà sur le bord de l'océan et vous y construire. En effet, aucune loi n'interdit ce genre de pratique, ce qui donne un aspect de crêpe bretonne à la capitale.

Autre exemple, à Colón, seconde ville du pays, le dernier plan d'urbanisme date de 1977, ce qui laisse présager les conséquences. En voici un exemple : Colón est une presqu'île reliée au continent par un tronçon artificiel. Ce fameux bout de terre a été inondé trois fois dans les cinq dernières années, bloquant ainsi l'accès au continent à 204 000 Panaméens. Mauvais calcul, n'est-ce pas?

Grand potentiel

Il passe en moyenne une quarantaine de navires par jour sur le canal de Panama. Chaque paquebot bien chargé doit payer plus de 220 000 $ pour passer sur ce fleuve artificiel de moins de 90 km.
Il passe en moyenne une quarantaine de navires par jour sur le canal de Panama. Chaque paquebot bien chargé doit payer plus de 220 000 $ pour passer sur ce fleuve artificiel de moins de 90 km.

Pourquoi choisir le Panama pour y travailler? En fait, le Panama compte une ressource unique qui offre une lueur d'espoir aux projets de développement international. C'est d'ailleurs probablement la seule chose que vous connaissez du Panama : le fameux canal! En effet, ce moteur économique permet de croire que le pays a un excellent potentiel de développement.

Saviez-vous qu'un paquebot bien chargé doit payer plus de 220 000 $ pour passer sur ce fleuve artificiel de moins de 90 km? Faites le calcul vous-même, il en passe une quarantaine par jour! Il faut tout de même noter que les écluses nécessitent une très grande quantité d'eau douce, ce qui amenuise le profit. Pour chaque bateau, c'est 200 millions de litres d'eau douce qui sont jetés dans les océans. Or, la déforestation et les changements climatiques menacent cet approvisionnement en eau si précieux. Ce qui pourrait expliquer en partie que le Panama soit un leader dans la lutte à la déforestation sur les tables de négociation internationale.

Inégalités sociales

La législation panaméenne permet à ses peuples autochtones de conserver leurs coutumes intactes, car elle leur accorde pleine souveraineté sur leurs ressources et leur territoire.
La législation panaméenne permet à ses peuples autochtones de conserver leurs coutumes intactes, car elle leur accorde pleine souveraineté sur leurs ressources et leur territoire.

Malgré ces ressources naturelles lucratives, des inégalités importantes existent au Panama. La structure même de l'économie catalyse le fossé entre les riches et les pauvres. Imaginez seulement une entreprise qui génère plus de 40 % du PIB d'un pays et qui ne fournit du travail qu'à 3 % de la population. Le côté positif est que depuis maintenant neuf ans, le canal a été rétrocédé par les Américains aux Panaméens.

Malgré la rétrocession, l'aspect dichotomique du pays laisse entrevoir que l'argent n'est pas distribué également. D'un côté, la ville de Panama possède une allure chic aux gratte-ciels disproportionnés. D'ailleurs, une loi oblige les pays utilisant le canal de Panama à ouvrir une banque sur le territoire, ce qui est un engrais bien efficace pour faire pousser des édifices démesurés.

Ici, le symbole de réussite sociale est le 4 x 4. Les centres commerciaux regorgent de Louis Vuitton, Armani et autres tandis que le magasin de téléviseurs du coin vend des écrans plasma de 103 po pour 60 000 $ US. Le pire, c'est qu'ils en vendent réellement.

Mais c'est en dépassant quelque peu le centre-ville que l'on découvre un pays complètement différent avec des quartiers extrêmement dangereux et violents. Lorsqu'on s'aventure dans les campagnes, on découvre une faune incroyable entourée d'une pauvreté patente. En analysant les statistiques, on s'aperçoit qu'une partie de la population panaméenne fait gonfler la statistique de pauvreté du pays : les peuples indigènes.

J'ai visité des communautés entièrement autarciques ayant des habitudes de vie un millénaire en arrière des banquiers de la grande ville. La législation panaméenne permet à ces peuples de conserver leurs coutumes intactes, car elle leur accorde pleine souveraineté sur leurs ressources et leur territoire, ce qui me semble fort équitable.

C'est d'ailleurs dans une petite communauté du peuple Embera que je me suis posé ma plus profonde et intéressante question de recherche. Nous tentions alors de consolider un projet de marché de carbone par la reforestation dans cette communauté. Le principe était le suivant : les pays riches paient les pays pauvres pour replanter des arbres afin de diminuer les émissions de CO2 à l'échelle globale. À première vue, le projet semblait magnifique : protéger l'environnement, donner aux pauvres et créer un projet unifiant la communauté. Bel exemple de développement durable, n'est-ce pas?

Cependant, j'ai perçu le projet d'une toute autre façon lorsque j'ai interviewé ce chic cultivateur de gingembre au vieux t-shirt Vuarnet aussi troué que son sourire. Son opinion sur le projet avait changé. Il y a deux ans, l'économie du village était quasi entièrement non monétarisée. L'arrivée de ce projet lui a permis de s'acheter son premier Coca-Cola. Désormais, se trouvant vieux, il craint ne plus pouvoir rivaliser avec les autres jeunes du village qui seraient plus efficaces pour ces grands travaux. Ce faisant, le travail manquant, il lui serait impossible de s'acheter son fameux Coca-Cola.

Je me suis alors demandé, comment cette petite bouteille, symbole puissant du capitalisme, peut être si envahissante dans une économie? C'est hallucinant! En effet, il y a deux ans, le village fonctionnait avec une logique entièrement communautaire, et maintenant, on perçoit déjà la compétition et le désir de consommation propres à notre système chez les villageois. Il n'y a pas si longtemps, ce cultivateur pouvait savourer son succulent thé au citron à volonté fourni par la communauté sans connaître ni désirer ce breuvage calorique qui fait naître en lui ces nouveaux sentiments.

Alors, comment définir la pauvreté? Le Programme des Nations Unies pour le développement nous apprend que les pauvres vivent à moins de un dollar par jour. C'est ce que vit la majorité des peuples indigènes du Panama, il faut donc absolument agir.

D'un autre côté, il y a cet autre cultivateur de gingembre qui ne s'est pas fait offrir de projet de reforestation, qui protège naturellement sa terre, car il la considère comme étant sa propre mère, qui savoure son succulent thé au citron autant qu'il en veut et qui n'a aucune idée que quelqu'un sur terre le considère comme étant pauvre. Qui a raison?